LE GRAND JOUR, enterrement cathartique 🖤🖤🖤🖤
De et mis en scène par Frédérique Voruz ; Création Lumière Geoffroy Adragna ; avec Frédérique Voruz, Victor Fradet, Emmanuel Besnault et Aurore Frémont, Rafaela Jirkovsky, Eliot Maurel, Anaïs Ancel, Sylvain Jailloux ; Théâtre du Soleil – Cartoucherie Paris 12 du 15 au 5 mars 2023.
Il fait noir. Un coup de tonnerre. La pluie tombe. C’est la fin !
Une famille s’abrite sous un parapluie.
Clémence, Simon, Mona, Benoit, Gabrielle, … enterrent leur mère aujourd’hui.
La mère est morte. Vive la vie !
C’est le Grand Jour. La famille est à vif. Le grand déballage familial peut enfin commencer. Point d’orgue de l’histoire familiale, d’une force dramaturgique évidente, l’enterrement est un moment propice pour se retrouver, dire tout ce qu’on n’a jamais osé, révéler les secrets les plus enfouis, tuer la mère (et quel monstre maternel ici !) pour s’inventer une autre vie, se libérer des traumatismes de l’enfance, de la culpabilité d’être soi, des névroses de ses parents, des rancœurs de la fratrie et des si nombreux non-dits… La famille est un terrain inépuisable de jeu et Frédérique Voruz, qui signe le texte et la mise en scène, s’en donne à cœur joie. En s’inspirant de sa propre histoire, elle propose une fiction aussi grinçante qu’émouvante.
Son format scénique ressemble à une vraie thérapie familiale = toutes les relations et positions sont exacerbées, la parole est libérée, ce qui joue un effet révélateur sur les principaux mécanismes dans lesquels les membres sont enfermés. (Ça vous dit quelque chose ? Moi oui !). Le théâtre a une puissance cathartique et Frédérique Voruz nous le montre ici avec beaucoup d’habileté et de justesse.
Le Grand Jour est une pièce sur le fil comme l’est la vie, comme l’est la famille, qui reste constamment en équilibre entre l’amour et la haine, le rire et les larmes, le clair et l’obscur, le commencement et la fin, la jeunesse et la vieillesse, le mouvement et l’immobilité… Un vrai travail de funambule qui trouve son juste équilibre au croisement des mots, du jeu, du rythme, de la scénographie, des parties pris scéniques. Quand l’alchimie opère, on peut alors dire d’une pièce qu’elle est très réussie !
La scénographie (lumineuse !) et de beaux tableaux scéniques semblent s’inspirer du clair obscure des tableaux de Caravage, pour illustrer cette dualité et nous plonger dans l’atmosphère religieuse dans laquelle cette famille semble étouffée….
Le rythme très singulier joue aussi de cet effet de contraste. Le démarrage est explosif, l’enjeu dramatique atteint très rapidement son paroxysme pour mieux prendre le temps, ensuite, de s’attarder sur les états d’âmes des membres de la famille et dénouer ce qu’il y a à dénouer. La pièce se développe à flux tendu, dans l’urgence de vivre, l’urgence de dire, quand quelques ruptures choisies suspendent le temps, figent le plateau pour laisser parler l’intime.
Si Frédérique Voruz attaque sa pièce avec un humour incisif, le propos est profond et pose de vraies questions : comment se construire au milieu des névroses de ses parents ? Comment trouver sa place dans ce monde quand on n’a jamais réussi à la trouver dans son cadre familial ? Comment aimer quand on n’a jamais appris à s’aimer ? Comment se libérer des traumatismes et blessures de l’enfance ? Et si c’était justement ces maux qui faisaient le ciment de la famille, de l’amour, de la vie …
Derrière la brutalité des rapports fraternels, la férocité du portrait dressé de la mère, se dégage subtilement de la tendresse. Les dialogues fantasmés avec la défunte sont pleins de poésie.
La troupe de comédiens a tout le mordant et la palette pour porter ce texte haut en couleur et nous toucher au cœur. Je les nomme tous, ils sont tous réjouissants ! Frédérique Voruz, Victor Fradet, Emmanuel Besnault et Aurore Frémont, Rafaela Jirkovsky, Eliot Maurel, Anaïs Ancel, Sylvain Jailloux.
L’histoire de la famille de Frédérique Voruz est singulière mais elle touche quelque chose d’universel où chacun peut retrouver de près ou de loin les névroses de sa propre famille. C’est émouvant, drôle, percutant et libérateur ! Un Grand Jour, oui, vraiment !
Marie Velter