La vie est une fête - LES CHIENS DE NAVARRE

De Jean-Christophe Meurisse & Les Chiens de Navarre, vu le 15 décembre 2022 à la MC93

 

Chers Chiens de Navarre

Je vous écris car je ne veux plus me taire, car j’ai l’espoir que chaque petit geste puisse faire bouger les lignes.

J’aurais pu vous écrire « Bravo ! » et me lever comme l’ensemble du public pour applaudir votre dernière création « La vie est une fête. »

J’aurais pu vous dire que les scènes sont d’une puissance jouissive, que votre humour décapant a fait du bien à mes zygomatiques et à mon désarroi.  

J’aurais pu vous dire combien le début du spectacle qui, commence avant même le début, dans un hémicycle de députés survoltés, était une idée brillante pour entamer votre pièce qui tend à montrer que notre société perd la boule, nous rend tous cinglés.

J’aurais pu parler de cette cadence incroyable qui ne nous lâche pas une seconde et nous entraîne dans ce tourbillon de folie qu’est la vie.

J’aurais pu parler de la scénographie très léchée qui participe pleinement à illuminer la fête.

J’aurais pu dire que derrière votre registre trash et dévastateur qui fait votre singularité, il y a aussi du sensible, de l’intelligence et du sens ; et c’est cela que j’ai beaucoup aimé.

J’aurais pu vous remercier de mettre l’hôpital psychiatrique sous le feu des projecteurs, tant c’est un pan de la santé (déjà bien malade) à l’agonie, qui suscite un intérêt quasi-nul et que l’on ne découvre vraiment que si on y est confronté.

 J’aurais pu. J’aurais pu mais voilà…

 

Oui, voilà que pour parler de troubles sévères dont souffre une partie des occupants de l’HP, vous campez ce personnage grotesque, un débilos “skizo”, en couche ,qui joue avec sa merde, sa bite et son vomi, un sauvage impulsif capable de prendre une arme et de tirer sur la foule. Vraiment ? Je vous jure qu’ils valent bien mieux que ça !

Voilà que vous avez choisi la voix simple pour traiter de cette maladie complexe et que par-là, vous ne faites que nourrir encore et toujours la stigmatisation odieuse et injuste envers ces personnes. Franchement, elles n’ont pas besoin de ça ! Alors qu’elles se battent en silence au quotidien contre la maladie, les hospitaliers, eux, se débattent uniquement dans l’urgence faute de moyens, les politiques s’en foutent et les médias ne relaient que les faits divers à sensation en rangeant tout le monde dans la case des fous dangereux …), c’est plus simple et plus vendeur ! (cf. L'abjecte une de Marianne du 27 octobre dernier).

Et vous ? Vous continuez joyeusement sur le même chemin. Pourtant il y avait matière à dénoncer. Pourtant, il y avait matière à rire car, oui, dans les crises, il y a souvent des situations cocasses. Le rire aurait pu être mordant et libérateur. Vous auriez pu montrer que derrière les clichés, la folie qui fait peur et rebute, il y a des visages humains, fragiles et sensibles. C’est ce que vous avez réussi avec le personnage névrosé et le dépressif, et c’est ce qui m’a touché. Alors pourquoi pas lui le « schizophrène ». Oui, pourquoi jamais lui ?

Vous auriez pu, sans rogner à votre humour provocateur, avec la singularité que vous affichez, vous risquez justement à nous les montrer différemment. Vous auriez pu…Vous auriez pu...Mais voilà…

 

Votre « vie est une fête » m’a emballée autant que révoltée.

J’ai mal au cœur, j’ai mal à mon frère et j’ai mal pour tous les gens qui se battent contre ces terribles maladies psychiatriques et qui tentent en vain de trouver une place, juste une toute petite place dans ce monde trop normé !

 

Marie Velter

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